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La liberté des professionnels de santé et le droit des patients à l’épreuve du décret du 25 mars 2020

Le 01 avril 2020
La liberté des professionnels de santé et le droit des patients à l’épreuve du décret du 25 mars 2020

Le 25 mars 2020, le Ministre de la santé, par un décret n° 2020-314 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, décide que la prescription de l‘hydroxychloroquine hors AMM est autorisée pour les patients atteints du COVID-19 mais seulement en établissement de santé ou, en ville, pour la poursuite d’un traitement initié en établissement de santé.

A contrario, la prescription initiale de l’hydroxychloroquine hors AMM en ville, pour des patients non aggravés, n’est pas couverte par le décret.

Plus encore, les pharmacies d’officine ne sont pas autorisées à le délivrer sur prescriptions autres que celles de émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin, c’est à dire uniquement pour les indications connues et validées dans le cadre de l’AMM du produit.

Ce décret, publié au JORF n°0074 du 26 mars 2020 (texte n° 31) ne manque pas d’interroger et semble, contre toute attente, constituer tant une entrave à l’action des professionnels de santé qu’une atteinte au droit des patients.


En premier lieu, le décret porte atteinte à la liberté de prescription de tous les médecins de ville.

Cette liberté de tout médecin consacrée à l’article R 4127-8 du code de la santé publique est d’ores et déjà encadrée.

La première limite est strictement posée par l'article R 4127-39 du Code de la santé publique qui vise à sanctionner les pratiques de charlatanisme (le fait de présenter un remède illusoire ou insuffisamment éprouvé comme étant dépourvu de tout danger).

La seconde limite est posée par l’article L 5121-12-1 du Code de la santé publique lorsque le médecin, libre de sa prescription décide de dépasser le cadre de l’autorisation de mise sur le marché du produit de santé considéré.

S’agissant d’une telle prescription, dite prescription hors AMM, comme c’est le cas de l’hydroxychloroquine dans le traitement du COVID-19, avant la parution du décret, en vertu de l’article L 5121-12-1 du code de la santé publique, tout médecin pouvait la prescrire à son patient atteint s’il le jugeait indispensable, puisqu’il n’existe à ce jour aucune alternative médicamenteuse appropriée au traitement du COVID-19 disposant d’une autorisation de mise sur le marché.

Il devait motiver sa prescription et naturellement informer son patient de ce que cette prescription intervenait hors AMM ainsi que des risques encourus.

En terme de responsabilité, cette prescription hors AMM plaçait certes le médecin dans une situation de prise de risque un peu plus importante que ne le fait une prescription conforme à l’AMM du produit mais il demeurait libre d’assurer au patient les soins que nécessite son état. 

Depuis a parution du décret, une frontière très nette apparaît entre :

-      d’une part les médecins prenant en charge les patients aggravés atteints du COVID-19 en établissement de santé qui continuent non seulement de jouir de cette liberté de prescription entière mais sont au surplus « couverts » par le décret qui leur offre une sorte d’autorisation temporaire d’utilisation de l’hydroxychloroquine, à visée curative du virus, sui generis ;

-      et d’autre part les médecins de ville prenant en charge les cas non sévères de la maladie auxquels il est réglementairement signalé qu’il n’existe aucune indication à prescrire l’hydroxychloroquine dans le traitement du COVID-19, les plaçant ainsi dans une situation de risque juridique majoré s’ils s’aventuraient à une telle prescription hors AMM. 

D’ailleurs l’Agence Nationale de sécurité du médicament (ANSM) communique en ce sens et rappelle aux professionnels de santé qu’il n’existe, en ville, aucune indication à prescrire l’hydroxychloroquine aux patients atteints du virus COVID-19.

Pour ceux qui souhaiteraient au surplus s’affranchir de ce signalement, leur prescription ne pourrait donner lieu à aucune délivrance puisqu’en deuxième lieu, le décret interdit aux pharmaciens de délivrer l’hydroxychloroquine sur prescription initiale d’un médecin de ville à visée curative du COVID-19, portant ainsi atteinte à leur liberté de jugement ainsi qu’à leur indépendance, consacrés à l’article R 4235-3 du code de la santé publique.

En troisième lieu, de façon parallèle, une frontière apparaît entre les patients atteints pris en charge à l’hôpital qui peuvent avoir accès à ce traitement et les patients atteints mais demeurant à domicile qui n’y ont normalement pas accès où en tous cas plus accès depuis le 26 mars 2020.

En termes d’égalité devant la Loi, la situation des patients telle qu’instaurée par le décret apparaît dès lors encore plus critiquable puisque c’est avant tout leurs intérêts, en l’occurrence leur santé, qui est censée être protégée au travers de toute réglementation sur le sujet.


Si par la suite il s’avère que le traitement est efficace et qu’il doit bien être dispensé au stade précoce de la maladie, pour les cas non encore sévères, ces atteintes, dès lors parfaitement inutiles (il n’y aura eu aucun intérêt à autoriser le traitement pour les cas sévères en établissement de santé alors celui-ci n’est plus indiqué), auront été non seulement injustifiées mais constitueraient un terrain plus que fertile à l’engagement de la responsabilité de l’Etat.

Priver les professionnels de santé de leurs libertés essentielles au moment où celles-ci sont plus nécessaires que jamais, ainsi que les patients de leur égalité de traitement devant la Loi au moment où ils sont plus que jamais en droit de l’exiger, voilà le pari très risqué du Ministère de la santé aux termes de ce décret.

La pénurie d’hydroxychloroquine ne pourra le justifier.

Le Ministère de la santé aurait, en réalité, tout intérêt à l’abroger.

En lieu et place, on peut se demander si l’ANSM, n'aurait pas intérêt à publier une autorisation ou recommandation temporaire d’utilisation, afin d’encadrer au mieux la prise d’un traitement hors AMM à visée curative du COVID-19.  

Bien que le Conseil d'Etat ait, par ordonnance de référé rendue le 29 avril 2020, rejeté une requête visant à enjoindre au gouvernement de saisir l'ANSM en ce sens, au motif notamment de ce que la situation est susceptible d'une évolution rapide, rien n'empêche une saisine volontaire...